Le roller face à
la Loi : quels risques pour le patineur ?
« Nul
n’est censé ignorer la Loi ».
De
ce dicton ne découle heureusement pas l’obligation de connaître toutes les prescriptions
que nous impose la Loi.
Cela
étant, sans prétendre à l’exhaustivité, un petit passage en revue des
principales implications juridiques que peut entraîner la pratique du patin à
roulettes sur la voie publique peut être utile.
Les
patineurs ont pour principale caractéristique de s’approprier le domaine public
et les infrastructures qui le composent[1],
évoluant ainsi au gré de leurs envies.
En
résulte alors inévitablement une cohabitation parfois malaisée avec les
piétons, puisque faute de statut juridique clairement établi[2] - et
malgré les études réalisées en ce sens[3] - les
pratiquants de roller sont
aujourd’hui assimilés juridiquement aux piétons, avec toutes les conséquences
que cela entraîne à leur égard, à savoir l’interdiction d’emprunter les pistes
cyclables et corrélativement, l’obligation de circuler sur les trottoirs[4].
Partant,
le risque de collision avec un riverain est d’autant plus prégnant que le
pouvoir d’usage, de contrôle et
de direction que le
patineur est présumé avoir sur ses patins se raréfie à mesure que sa vitesse s’amplifie.
Le
patineur doit avoir alors conscience que la liberté qu’il éprouve à pratiquer
sa discipline ne l’affranchit pas d’une éventuelle action en responsabilité
civile à son encontre, dans le cas où, de par son fait, il aurait causé un
préjudice à un tiers.
L’article
1382 du Code civil dispose en effet que « tout fait quelconque de
l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il
est arrivé à le réparer ».
Il résulte de ce texte que le patineur à l’origine
d’un dommage quelconque envers un tiers, pourrait être condamné par un tribunal
à verser des dommages et intérêts, afin de réparer le préjudice matériel, moral
et/ou corporel subis.
Il convient également d’ajouter que l’article 1384,
alinéa 1er, dispose quant à lui qu’« on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son
propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont
on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde ».
Ainsi, comme cela a été évoqué précédemment, le
patineur est gardien de ses patins, et censé avoir sur eux un pouvoir de
contrôle et direction.
A cet égard, une personne victime d’une collision avec
un patineur peut envisager d’engager la responsabilité de ce dernier, sur le
fondement de l’article 1384 du Code civil.
L’avantage pour la victime serait alors le
suivant : l’article 1382 oblige celui qui allègue d’un préjudice à
démontrer l’existence d’un « fait fautif » (c’est-à-dire un fait qui
a pu causer un dommage, sans pour autant que ce dommage n’ait jamais été voulu
par son auteur), d’un dommage, et d’un lien de causalité entre eux.
En revanche, l’article 1384 implique une
responsabilité dite de « plein droit[5] » :
le patineur ne peut alors s’exonérer de sa responsabilité qu’en démontrant que
le dommage subi par la victime est dû à un cas fortuit, à un cas de force
majeure ou encore à une cause étrangère ne lui étant pas imputable.
Mais il ne pourra en aucun cas échapper à sa
responsabilité en démontrant qu’il n’a commis aucune faute, ou que la cause du
dommage est demeurée inconnue.
Enfin, il faut relever que la responsabilité du
patineur peut glisser de la sphère civile à la sphère pénale, notamment en cas
de comportement dangereux.
A ce titre, l’article
223-1 du Code pénal dispose en effet que « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de
blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par
la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité
ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an
d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende ».
L’article 226-1 du même
Code dispose quant à lui : « Le fait de causer, dans les conditions et selon les
distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence,
inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de
prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros
d'amende.
En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière
de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines
encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75000 euros
d'amende ».
Fort heureusement un tel
scénario, bien qu’envisageable, reste à ce jour, à notre connaissance, un cas
d’école.
Il existe en revanche des
incriminations bien moins graves, mais également susceptibles d’entraîner pour
le patineur une sanction pénale, notamment lorsque ce patineur se plaît à
utiliser le mobilier urbain comme terrain de jeu.
L’article 322-1, alinéa 1er,
du Code pénal prévoit à ce titre que « la
destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui
est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende, sauf s'il
n'en est résulté qu'un dommage léger ».
De plus l’article 322-2
du même Code ajoute que « l'infraction
définie au premier alinéa de l'article 322-1 est punie de trois ans
d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende (…), lorsque le bien détruit, dégradé ou détérioré est :
1° Destiné à l'utilité ou à la décoration publiques et appartient à une
personne publique ou chargée d'une mission de service public (…) »[6].
Aussi remarquera-t-on
sans trop de difficultés que la pratique du street
répond à l’incrimination définie dans le second de ces articles.
Mais un œil avisé
remarquera aussi que le premier desdits articles affranchit l’auteur de tels
comportements des sanctions y prévues lorsqu’il en est résulté pour la chose un
dommage dit « léger »…catégorie qui devrait à notre sens pouvoir
englober les simples « grignotages » de murets découlant de la
pratique du street[7].
Il est à noter, en tout
état de cause, que les forces de police en France font preuve de relativement
de souplesse face à la pratique du street,
et il n’est d’ailleurs pas à notre connaissance de cas de patineurs ayant été
condamnés à de fortes peines d’amendes[8] telles
que prévues aux articles précités.
Il ressort de tout ce qui
précède que le patineur ne saurait ignorer le contexte législatif et
règlementaire dans lequel il gravite.
Il reste toutefois
bénéficiaire d’une liberté fondamentale, qui est celle d’aller et venir comme
bon lui semble…
Camille-Antoine DONZEL.
[3] Idem et Assemblée
Nationale, Question écrite n° 41150, Transports,
Sécurité routière – Circulation urbaine – Utilisation de rollers, J.O.
Assemblée Nationale, 3 février 2009.
[4] Sénat,
Question écrite n° 4378, Secrétariat d’Etat aux Transports, Statut juridique des pratiquants de roller,
J.O. du 27 novembre 2008.
[5] Arrêt Jand’heur, Cass. Ch. Réunies, 13 février
1930 : « La présomption de
responsabilité établie par l’article 1384, alinéa 1er, à l’encontre
de celui qui a sous sa garde une chose inanimée qui a causé un dommage à
autrui, ne peut-être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force
majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable. Il ne suffit
pas de prouver qu’il n’a commis aucune faute ou que la cause du fait
dommageable est demeurée inconnue ».
[6]
Notons
que l’article 322-3 du Code pénal indique que constitue une circonstance
aggravante le fait de commettre le délit de destructions, de dégradations ou de
détériorations en groupe…de là à dire que la « session » rentre dans
ce cas de figure…
[7]
Tout
au plus peut-on considérer que le fait de slider
n’entraîne pour le mobilier urbain que de simples détériorations, mais
rarement des dégradations et encore moins des destructions.
[8]
Notons
toutefois le durcissement de la réglementation appliquée à Barcelone concernant
le street, à l’instar de celle déjà
en vigueur aux Etats-Unis.